De la fonction transcendantoire du tabouret dans l’art du contemporain

Le tabouret, comme le parpaing, la brique, le boulet de charbon, le barreau de chaise ou le petit bout de bois dans les oneilles, est un objet récurrent dans la liturgie célébratoire de l’art du contemporain.

Le tabouret peut être tripode ou quadripode (jamais unipode,  bipéde ou quintupède). On peut monter dessus, y mettre son auguste postérieur, le placer à l’envers, se le mettre dans l’œil (comme le propose Eric Wurm), l’entasser comme Ai Wei Wei, y fixer une roue de vélo comme Marcel Duchamp, le coller au plafond comme c’est la mode chez les lecteurs des Inrockuptibles assidus du Palais de Tokyo.

 

Et voici le texte de mon ami écrivain poète marseillais Jean-Pierre Cramoisan au sujet du tabouret dans l’art « du » contemporain. (Le « du » est préconisé par mon autre ami Jean-Philippe Domecq)

 

Ainsi un tabouret, qu’un geste audacieux renverse ou subverse, devient éloquent, provocateur, chamboulateur, empreint d’une verveuse critique sociétale … J’insiste : pourquoi le tabouret est-il renversé ? Pas par hasard, bien sûr ! Vous ne fleurez pas la puissance créatrice du geste instinctif, primal, inventif, l’immense message sous-jacent de la démarche subversive d’un art ritualo objectal portant en lui l’enflé désir qui a poussé l’artiste à oser se projeter dans l’impensable ! Juste l’expression d’un segment spatio-temporel transformant l’abstraction et la matérialité du silence de la chute en une rencontre de deux mondes en un !

 

Je demandais l’autre jour à un ami ce qu’il ressentait face aux poncifs affligeants initiés par les ténors de la culture. Car, enfin, à quoi rime ce cirque avec ses dresseurs et ses montreurs d’artistes ? Qui se bouscule encore pour aller voir de l’autre côté des choses, l’autre côté étant, en l’occurrence, ce qui représente le létal plus ultra de l’art exhibé dans nos FRAC, cages ouvertes sur la vacuité des méninges ? Celui-ci me demandait innocemment pourquoi il n’y a rien plutôt que quelque chose ? Pourquoi  cette entourloupe sur le vide ?

Le hold-up de la culture interloque-t-il au point que l’on reste coi devant les pitreries qu’il génère régulièrement, alors qu’il serait plus judicieux de se demander combien coûte ces sortes de farces mal ficelées ? Combien pèse le rien ? Qui l’enseigne ? Qui le revendique et se l’approprie ? A qui profite-t-il ? Qui l’argumente ? Qui en fait commerce et engrosse le marché ?

On côtoie dans les espaces dédiés aux fantomales parodies de l’art contemporain, 100% matière creuse, comme peuvent l’être les fondations, les biennales et même les musés réquisitionnés pour confronter des œuvres classiques à une prolifération d’accessoires plus trublionesques les uns que les autres. Des objets usuels abandonnés, érigés en catafalque, des détritus mis en scène au milieu de lieux cérémoniaux vides de contenu, vides de  public, hantés de blanc comme des morgues, eh oui, des morgues puisqu’on y célèbre l’enterrement de l’art. Pas la mort panache, sardanapalesque, non, mais la mort réelle, bien sordide, perfusée aux juteux enjeux de la surenchère spéculative, bref l’élimination de toute singularité.

Car peindre est un danger ! Le peintre est redoutable, j’allais dire nuisible pour peu qu’il ait une émotion à faire partager.

A l’opposé, l’artiste contemporain regarde le monde de haut, de loin, du coin de l’œil ; il bidouille avec sarcasme le nivellement de la chose culturelle par le biais du sacro syncrétisme : de tout un peu, curieux mélange d’atterrantes performances mixé aux ravauderies métaphoriques rabâchées depuis d’innombrables lunes. On convoque l’histoire de l’art au chevet du détournement idéologique qui est une sempiternelle et éhontée manière de rebondir bout-ci bout-là à force de jactances si tortueuses qu’elles arrivent parfois à donner le tournis aux curateurs d’exposition dont la charge est pourtant de dispenser des propositions-fleuves pour éclairer le rien.

Végètent des élucubrations, s’agitent des procédés de toutes sortes où s’affichent des haillons d’idées et autres suscitations absconses. Étrange paradoxe d’un art contemporain emberlificoté dans les profondeurs de ses névroses cyclothymiques.

Ainsi un tabouret, qu’un geste audacieux renverse, devient éloquent, provocateur, chamboulateur, empreint d’une verveuse critique sociétale ; ainsi un triangle de chantier, des parpaings épars, graffités, parfois fléchés reconstruisent nos émotions puisqu’ils donnent la parole aux objets en indiquant la direction des courants d’air. Quoi ? Vous ne comprenez pas, vous ne comprenez rien ? Vous n’avez pas pensé à l’évidence contenue dans la double vie des objets, à la renaissance métaphysique des déchets ? Il ne faut rien négliger, y compris les excrétions corporelles qui sont autant de liens nous rappelant à notre universalité.

Là, maintenant,  vous ne sentez pas planer dans l’air du temps quelque chose de la consubstantialité duchampo-laviero-Koonsienne ? Vous persistez à refuser la voie tracée par l’art contemporain ? Vous n’êtes qu’un fâcheux frondeur ! C’est quand même assommant que vous n’ayez pas cette once d’intelligence et de culture, cette prescience que le monde bouge pour vous faire accéder à des évidences socio événementielles de première force.

J’insiste : pourquoi le tabouret est-il renversé ? Pas par hasard, bien sûr ! Vous ne fleurez pas la puissance créatrice du geste instinctif, primal, inventif, l’immense message sous-jacent de la démarche subversive d’un art ritualo objectal portant en lui l’enflé désir qui a poussé l’artiste à oser se projeter dans l’impensable ! Juste l’expression d’un segment spatio-temporel transformant l’abstraction et la matérialité du silence de la chute en une rencontre de deux mondes en un ! On vous leurre la comprenette en vous parlant de lien invisible, d’intervention à tête de symbole. N’est-ce donc pas épastrouillant ce que l’on peut faire dire comme ânerie à un tabouret ? ! Pour ce faire, il faut de solides années d’étude dans les écoles d’art pour apprendre à poser les vraies questions. Combien d’heures pour formater ces jeunes cerveaux rompus aux fulgurances duchampiennes ?  Diplôme en poche, les voilà qui s’élancent gaiement dans le territoire électif du non sens, investis par le souffle professoral les confortant dans une mission prophétique, une destinée hors normes.

Vous pouvez rire, artistes à la graisse d’acrylique, vous épuiser l’âme à lutter contre le monde des formes, à vous colleter aux risques des vibrations de la couleur, aux dérives de l’imaginaire, à la curiosité, au regard, au travail. Arrêtez donc de vous servir de crayons, de pinceaux, car il est plus contemporain de peindre avec sa bite ou de diarrhéer des couleurs administrées par des clystères, autant d’expériences novatrices qui vous échappent !

Pourtant lorsque l’on franchit les portes des mausolées de la culture, on se dit que l’on va forcément trouver des œuvres d’une extrême sensibilité artistique, être en présence de toutes sortes d’éléments fortifiants et nécessaires pour éponger la grisaille des déshérences du quotidien ; on pense que l’on va renforcer nos illusions, apporter des solutions à nos embarras les plus tenaces, mirifier l’ordinaire, reforcir nos utopies ; bref, faire en sorte que le monde et toutes choses qui en découlent nous apportent une nouvelle vibration d’intelligence pour les sens et l’esprit.

Eh bien non, il n’y a rien, vraiment rien de chez Rien !

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