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De part et d’autre, les forces se mobilisèrent. Dans un silence médiatique glaçant, on vit d’un côté s’aligner les défenseurs zélés de la liberté, de l’humour gore et de l’ouverture d’esprit et, venant en face avec une arrogance coupable, les étendards des horripilants défenseurs du respect, de l’empathie, et de l’écœurante aspiration aux arts du beau.
Toute courtoisie rendue à l’ennemi, ce fut ce dernier qui tira le premier coup de canon.
Rappelant que ses statuts lui permettaientt de lutter contre tout ce qui porte « notamment atteinte à la dignité de la femme et au respect de l’enfant » (tout de suite les grands mots !), l’AGRIF demanda au tribunal de constater la faute du FRAC, de le condamner à 15.000 € de dommages et intérêts et – ces gens-là ne doutent de rien- de lui faire rembourser les frais de procédure.
Les hostilités étaient déclenchées…
En face on s’ébranla lentement d’abord, puis plus vite et, les baïonnettes au bout du canon, on put voir les dignes héritiers des colonnes de Tureau s’élancer dans un cri magnifique contre les oppresseurs de la liberté.
Après avoir précisé que le FRAC n’est pas un établissement public mais un établissement privé assurant des missions de service public (il faut toujours pinailler un peu : ça fatigue l’ennemi) et que les artistes exposés étaient de réputation internationale (ça leur en impose direct, à ces minus !), on affirma les yeux embués que cet événement avait pour objectif de « questionner » de nouveau la famille (précision sémantique : ne pas confondre « questionner » avec « mettre à la question, » utilisé exclusivement pour le camp des méchants).
Il fut ensuite précisé qu’au moment de l’événement, de gentils animateurs étaient chargés d’expliquer au public pourquoi il est très artistique de parler de « faire des enfants des putes. » Or il est évident qu’une fois expliqué, on comprend tout l’amour qu’il y a derrière !
Pour essayer d’attirer les coquinous ou les pervers (il n’y a pas de mauvais client), le FRAC avait en outre mis une petite affichette énonçant que des images étaient susceptibles de heurter certaines sensibilités. Du coup (qu’est-ce qu’on a rigolé en écrivant l’argument !) on a pu se servir de cela pour jurer avoir pris toutes les dispositions. Hé hé… Pas mal hein ?
On leur jeta ensuite au visage, c’est si agréable d’être du côté du pouvoir, tous les articles de loi français, européens et internationaux possibles et imaginables sur la liberté d’expression, avant de brandir la fameuse décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, qui énonce que les atteintes à la liberté d’expression doivent toujours être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. »
Slash, clash, dans ta face ou, pour parler français : emballez c’est pesé !
Il ne suffisait plus que de s’appuyer sur le refus du procureur (appelé dans la plaidoirie « juge pénal » histoire de les embrouiller un peu) en affirmant que l’infraction n’était pas constituée et de faire semblant que, de toute façons, on ne comprenait pas très bien ce que l’AGRIF reprochait. Là, il faut dire que la plaidoirie tourna à la cour de récré (mais ce n’est pas grave, c’est pour la bonne cause !). Les avocats expliquèrent en effet que les autres faisaient bien pire (ils ressortirent la bonne vieille tarte à la crème de L’origine du Monde, de Gustave Courbet, exposée sans avertissement) et dépoussiérèrent une vieille décision de la cour d’appel de Paris (7 janvier 1958 !) qui définissait la pornographie de façon subjective (« scènes de lubricité tendant à exciter les sens »).
Subjective… N’oubliez jamais, chers artistes qui parlez de sodomiser des enfants, d’invoquer la subjectivité dans l’art. Très bon ça ! Marche toujours ! Ça marche d’ailleurs tellement bien que les avocats expliquèrent que même la notion de violence est subjective et qu’en l’occurrence les phrases d’Éric Bougereau ne le sont pas du tout !
Tout le plan de bataille de l’art contemporain était donc déployé conventionnellement, reposant sur la combinaison d’un duo jusqu’ici gagnant : les fous et les tours, c’est-à-dire d’un côté, des artistes complètement pétés (donc rigolos, n’en déplaise à tous ces empêcheurs de salir en rond !), et une fois que l’ennemi, répondant à la provocation, se jette sur ces foufous qui courent en diagonale en hurlant à la censure, on envoie une deuxième vague de gens cette fois posés, méthodiques, froids et solides comme des tours, qui s’occupent de donner à la folie une bienséance. Ils sont avocats, politiques, journalistes (dont certains ont trouvé l’exposition à « hurler de rire »)… Sur papier, sur les ondes ou sur les plateaux télé, ils sont capables de faire face à n’importe quel enquiquineur et s’occupent qui de le ridiculiser, qui de l’anathémiser, qui de lui balancer un contrôle fiscal…
La mécanique est bien rodée, l’art contemporain peut compter sur ses hussards !
Il arrive cependant (rarement heureusement) qu’au lieu d’être terrorisés par les excommunications, quelques individus particulièrement motivés s’obstinent à riposter. En l’occurrence, ce fut le cas.
Leurs avocats rappelèrent donc que le recours judiciaire avait été rendu nécessaire par l’inefficacité des précédents recours, que certains messages contenaient du contenu pédopornographique (et alors ? Qu’est-ce que c’est que cette animosité pédophilophobe ?!), qu’ils étaient visibles par les enfants (oubliant au passage l’existence du gentil animateur), et qu’ils portaient atteinte à la dignité humaine (rrrhooo ! Dans ce cas interdisons la méchanceté ! Si elle existe, c’est bien pour qu’on la montre à tous dans toute son horreur !).
Mesquinement, il se réfugièrent derrière l’article 227-24 du code pénal qui dispose que « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. »
Il faudra d’ailleurs changer cette loi, parce que si vous réfléchissez bien, c’est un cadre légal à la liberté d’expression, ce que soulevèrent d’ailleurs les avocats de l’AGRIF.
Bien conscients d’avoir la loi de leur côté, ces gens-là font les malins ! Quelle petitesse !..
Il ne se sont d’ailleurs pas arrêtés là. Ils ont ressorti un passage des conclusions du FRAC dans lequel il est dit que « cette exposition avait donc pour objectif de remettre en cause l’appréhension classique de la famille dans sa symbolique sacro-sainte et de mettre en exergue les effets pervers que recèle le modèle familial traditionnel considéré pendant longtemps comme irréprochable, d’où son intitulé Infamille. » Ha bah c’est sûr ! Tiré de son contexte !… Si ce n’est pas pour influencer les juges, ça, qu’on nous dise ce que c’est !
Le Tribunal allait-il se laisser berner par autant de mauvaise foi ?
Hé bien je le dis aussi solennellement que l’exige la gravité de la situation : OUI !
Pour le tribunal (qui reconnaît néanmoins à Éric Pougeau la liberté de s’exprimer), montrer à des enfants des messages de parents qui prévoient de sodomiser, de prostituer, de violer, d’exciser leur progéniture est une faute pénale et porterait atteinte à la dignité humaine !
Oui mesdames et messieurs, vous avez bien entendu !
C’est, au-delà d’une telle décision, le tonnerre qui gronde au-dessus des plumes de nos auteurs, des pellicules de nos cinéastes, des trucs de nos plasticiens, etc.
C’est, pire encore, la consécration honteuse d’un devoir moral écœurant, consistant à obliger les individus à se respecter entre eux, voire (on a touché le fond) à protéger les enfants !
Sans être prophète, je vous le prédis : il sera bientôt mieux vu de réfléchir respectueusement aux questions de fond que de salir ceux qui les défendent ! Ne riez pas : vous verrez ! Vous verrez ! Nous repartirons des siècles en arrière, dans les temps obscurs des disputatios, débats interminables où il était mal vu d’insulter ses contradicteurs ! Souvenez-vous comme ces gens réfléchissaient au thème de la famille sans vouloir détruire quoique ce soit, faisant sombrer la question dans un flot de propos sensés, argumentés et, donc, tellement plus ennuyeux !
Nous conjurons donc le FRAC de Metz de prendre conscience du rôle magnifique qui lui échoit.
Nous lui prions de bien comprendre qu’au delà de sa magnifique exposition, c’est tout un système qu’il défend !
Nous le supplions de tenir bon face à la barbarie du respect et d’interjeter, sans attendre, appel de cette terrible décision !
¡ No Pasarán ! Nous ne lâcherons pas ! Si la civilisation de l’amour veut remettre les pieds en France, nous l’attendrons de pied ferme !
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