Vous avez dit réalisme ?

Un jour que je parcourais le web – un de ces jours liquides où notre regard, hagard, bondit de site en site jusqu’à trouver des choses intéressantes que l’on ne lit pas parce qu’il faut continuer à bondir –, je suis tombé sur un blog qui avait la gentillesse de défendre Sauvons l’art ! et de communiquer sur notre dernier colloque au Sénat.

Le texte relayait l’information en expliquant que nous défendions l’art réaliste contre l’art contemporain… C’est faux… enfin, non… enfin si mais il faut expliquer parce que faire croire cela, c’est tout simplement nous planter la baïonnette dans le dos, et voici pourquoi.

Sauvons l’art ! est une association d’inspiration philosophique réaliste, c’est exact. Le mot important de la phrase précédente était « philosophique». Alors, qu’est-ce que la philosophie réaliste ?

Disons, pour faire court, que quelle que soit une problématique, il y a toujours deux façons de l’aborder : partir de la réalité pour en conclure une idée, ou partir d’une idée pour expliquer la réalité. La première constate que nous sommes une partie de la réalité à laquelle nous avons accès, tandis que la deuxième postule ou bien que la réalité existe mais que nous n’en avons pas connaissance (Kant, par exemple), ou bien qu’il n’y a d’autre réalité que nous-même (Hegel).

On nomme la première « réalisme » (Socrate, Platon, Aristote, saint Thomas d’Aquin, etc.), et la deuxième « idéalisme » (Descartes, Hegel, Kant, Marx, etc.).

A priori, ce sont des billevesées d’intellectuels qui ne servent à rien. En fait, cette différence d’approche est capitale. Prenons par exemple (au hasard 😉 le cas de l’art.

Soit on regarde comment l’art (pris dans le sens des Beaux-Arts) s’est forgé au cours du temps dans une réalité extérieure à nous, soit on part du principe que notre intelligence est autonome et peut donc, sans dommage, redéfinir comme elle le veut la notion d’art. Soit on accueille l’art comme il l’est, on le parfait et on le transmet, soit on peut décider qu’il sera dorénavant le contraire de ce qu’il était avant, ce qui permet aussi, chose très pratique, de réexpliquer l’art en fonction de ce qu’on a décidé (ex : on décide que l’art a pour but la subversion, et on explique tous les peintres jusqu’à aujourd’hui par la subversion).

La première démarche est réaliste, tandis que la deuxième est idéaliste.

Quel est le rapport avec la choucroute ?

Quittons un peu le réalisme philosophique pour étudier le réalisme artistique.

En peinture, celui-ci est un courant né dans la deuxième partie du XIXe siècle. On cite souvent, pour les illustrer, Courbet et Millet. En fait, c’est un trompe-l’œil. Le réalisme en art ayant pour credo de représenter les choses telles qu’elles sont et avec le plus de précision possible, on peut affirmer sans crainte que le réalisme a, en tant que tel, toujours existé. Ce qui est capital, c’est que les réalistes entendent peindre une réalité… augmentée ! En effet le réalisme, se plaçant dans la droite ligne de l’histoire de l’art, entend embellir la réalité, ou au moins en dégager quelque chose de plus que ce qu’elle paraît à simple vue.

Les débats furent rudes à cette époque entre les différents peintres de la réalité. J’ouvre donc une parenthèse et prend position dans le débat (c’est la moindre des choses que de ne pas vous dissimuler ma position, cher lecteur). Pour ma part, je considère que rien d’autre que la représentation de la beauté ne saurait être le propre de l’art. Le questionnement sur le monde, par exemple, ne saurait être le propre de l’art puisque c’est celui de la philosophie. En revanche il ne s’agit ici que du propre, ce qui signifie que l’art peut tout à fait (il n’en sera que plus parfait) interpeller le public sur son existence et le monde. Il aura alors ceci en commun (et non en propre) avec d’autres disciplines.

Le propre de l’art est donc la représentation de la beauté, mais il peut aussi questionner le monde, sans qu’il s’agisse pour autant d’une condition essentielle.

Bref (fermons la parenthèse), le réalisme est un courant dans l’art, qui prétend arriver au but de l’art (la réalité augmentée) par un moyen précis : la représentation minutieuse de la réalité.

Qu’est-ce qui distingue ce courant des autres (par exemple du romantisme et du néoclassicisme, qu’il suit, ou de l’impressionnisme, qu’il précède) ?

Simplement un parti-pris formel.

Ramenons cette précision aux fondamentaux (il faut savoir de quoi on parle avant d’en parler, ce que la « critique » d’art actuelle ne sait plus faire). Le but de l’art est la beauté (ce que certains peintres réalistes ont d’ailleurs contesté pour leur plus grand malheur). L’anart du début du XXe siècle a essayé de s’en affranchir, mais il est simplement devenu autre chose que de l’art, et prospère grâce aux subventions pendant que l’art caché, authentique, continue d’œuvrer pour la beauté.

Or quel est l’objet de la philosophie ? La beauté ? Si c’était le cas, on ne pourrait distinguer l’art de la philosophie. Pour les philosophes réalistes, l’objet de la philosophie est la vérité, c’est-à-dire l’adéquation de l’intelligence à la réalité.

Ce qui permet donc de distinguer l’art de la philosophie est donc très simple : l’art représente le beau et peut questionner le monde, tandis que la philosophie questionne le monde et peut y joindre de la beauté.

Cette précision entraîne une chose importante : les deux objets de la philosophie réaliste et de la peinture réaliste sont si différents qu’on ne saurait confondre les deux réalismes.

Mais il y a mieux.

Dire qu’on défend l’art réaliste, c’est préférer un courant (le réalisme) aux autres (romantisme, classicisme, impressionnisme, pointillisme, etc.). Le philosophe réaliste a-t-il vocation à prendre parti pour l’un ou l’autre de ces courants ? Je pense que non. Chaque courant essaie d’exprimer la même chose de façon différente (je ne parle pas du dadaïsme, du duchampisme, etc. qui revendiquent précisément d’être des révolutions dans l’art). Chaque courant contient des œuvres magnifiques, et de grands ratés.

La réalité de l’art, qui n’est pas l’art de la réalité, est constitué par tous ces courants devant lesquels le philosophe réaliste s’émerveille.

Donc l’objet de la philosophie réaliste est la vérité, tandis que l’objet de la peinture réaliste est (ou devrait être), comme tout art qui se respecte, la beauté.

Et le philosophe réaliste ne peut qu’embrasser d’un œil bienveillant tous ces courants qui essaient, à défaut de réussir parfois, de traduire l’éclat de ce qu’il recherche.

« Le beau, » disait Balzac, « c’est la vérité bien habillée »… N’ayons pas peur de renouveler notre garde-robe de temps en temps.

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