Faut-il supprimer le ministère de la culture ?

A lire le Rapport Warlin, le dossier est accablant.

Alors que les étudiants dénoncent en ce moment la vacuité de leur école des beaux-arts d’Avignon, ce sont 57 écoles supérieures d’art qui sont financées par l’état en 2012 pour 50 millions d’euros. Parmi ces 57 écoles, 13 sont financées directement par le ministère de la culture. De l’argent jeté au vent ?

Malgré le désintérêt massif du public pour l’anart, c’est 68,5 millions d’euros qui ont été déboursés par ce même ministère pour le fonctionnement des structures du spectacle vivant. L’argent du contribuable utilisé contre lui-même ?

Le palais de Tokyo, grand temple des adeptes de Marcel Duchamp alors qu’il devait à l’origine représenter la diversité culturelle en France (humour, humour !), aura coûté au moins 20 millions d’euros à l’État. Une escroquerie ?

Dans son ouvrage Sacré art contemporain, dont une synthèse est consultable sur le site de Sauvons l’art !, Aude Kerros révèle au grand public l’existence des inspecteurs de la création. Cette armée de conseillers techniques, tous acquis à l’anart, décident au ministère de la culture et dans les structures déconcentrées de l’utilisation de nos impôts. Les dossiers du contribuable (Les folies de la culture bobo, 8 août 2012) révèlent que leur salaire est à la hauteur de leur importance : jusqu’à 3 475 € de rémunération mensuelle !

Malgré ces montants exorbitants, l’art contemporain (comprendre malheureusement l’anart, puisqu’il est actuellement sur-représenté aujourd’hui dans l’art contemporain) est la seule activité importante qui ne soit pas contrôlée par la cour des comptes.

Face à cette fuite financière géante, que faire ? Devant cette inégalité de traitement, devant cette administration héritée des régimes totalitaires (dans lesquels l’État, tellement conscient de l’importance de la culture, veut la contrôler de bout en bout), devant cette utilisation éhontée de nos deniers au milieu d’une crise qui ne souffre aucune dépense disproportionnée, la tendance est naturellement de défendre des positions extrêmes, quitte à exiger la disparition du Ministère de la culture lui-même (c’est semble-t-il la position défendue par Jean-Baptiste Léon, rédacteur en chef des Dossiers du contribuable, dans le numéro cité ci-dessus).

Cette position semble excessive.

Exiger la disparition du Ministère de la culture n’est pas une position modérée (non au sens de « tiède, » mais au sens aristotélicien de « juste »). Ce n’est pas appeler à la juste dépense, rappeler la nécessité d’une gestion mesurée.

C’est refuser à l’État une de ses prérogatives fondamentales : celle de garantir la grandeur de la France par ses arts, comme les rois de France et leurs successeurs l’ont fait. Que serait en effet Versailles sans le mécénat de Louis XIV, dont la France bénéficie encore ?

Car en réalité, le ministère de la culture ne naît pas avec Malraux mais avec ce monarque, qui créé la Surintendance des bâtiments, arts, tapisseries et manufactures de France, dont hérita Colbert en 1664. L’Académie royale de peinture et de sculpture créée quelques années plus tôt sous la régence d’Anne d’Autriche, enfanta tant de talents comme les Le Brun ou Pigalle que la France rayonna dans toute l’Europe. Affirmer que la culture française n’a pas besoin de ministère, c’est considérer de façon absurde que la France n’a pas besoin de son gouvernement pour rayonner, c’est basculer dans un libéralisme qui suspecte tant l’autorité qu’il en vient à la refuser, c’est priver l’équipe de France d’entraîneur sous prétexte qu’il pourrait être mauvais !

On m’objectera bien sûr que mis en concurrence loyale et libre (ce bon vieux sacro-saint principe de la liberté) avec l’anart, l’art authentique s’imposerait de lui-même. C’est partiellement vrai. Mais pour autant, pourquoi refuser à l’État d’encourager de bonnes choses au nom d’un principe idéologique (le non-interventionnisme absolu) ?

On me répondra aussi que Louis XIV a été excessif dans ses dépenses, preuve que l’État ne saurait intervenir sans impair. Si déjà cette affirmation est largement sujette à caution (il est si simple de condamner après coup ce qui relève, rappelons-le, de la complexité prudentielle), sa conclusion naturelle ne saurait amputer l’État de sa responsabilité. Seule son éventuelle prodigalité serait condamnable.

On me dira encore, invoquant les temps misérables que nous traversons, que le soutien de l’État à l’académisme tue les autres formes d’expression artistique. L’histoire de France dément encore ce reproche. Car la différence entre hier et aujourd’hui, c’est que l’art royal était contre-balancé par celui de l’Église, celui de la noblesse et celui de la bourgeoisie. Aujourd’hui, la collusion est telle que tout le monde croque dans la même mangeoire, à grands coups de sponsoring et de rétro-commissions. Quelques artistes sont financés par un petit nombre et se gavent aux frais du contribuable et des fortunés, tandis que les autres viennent sous la table (quitte à vendre leur âme) pour se partager les miettes.

A considérer autre chose que la création, il est évident que la suppression du Ministère de la culture entraînerait de graves conséquences. Qui d’autre pourrait en effet assumer la charge de la conservation du patrimoine ? Certes de grandes fortunes et des entrepreneurs privés peuvent venir contribuer à financer sa préservation, mais faut-il rappeler que le patrimoine, fruit de l’histoire de France, appartient à la France et donc que l’État français et son gouvernement en sont responsable en premier chef ?

On me dira peut-être qu’il n’y a qu’à créer un ministère du patrimoine. Ministère du patrimoine ? Ministère de la culture ? On joue sur les mots.

Il y a bien des choses à dénoncer sur les excès de l’État Providence. Mais prêcher un désengagement total de l’État est à la fois idéaliste et contre-nature. Car il est inscrit dans la nature qu’une société a un but, que ce but est de fournir à ses membres tous les biens qui leur seraient inaccessibles en tant qu’individus (ensemble des biens communs qui constituent LE bien commun), comme le savoir (dont les arts) et la protection (dont celle du patrimoine).

S’il faut donc dénoncer les mesures étatiques injustes, s’il faut rappeler l’État à l’ordre et lui indiquer ses devoirs, céder aux sirènes du libéralisme est un cul-de-sac. D’ailleurs, puisque toutes les fortunes privées se tournent aujourd’hui vers l’anart, qui défendrait l’art authentique ?

Tant il est vrai qu’entre le faible et le fort, c’est la loi qui protège, et la liberté qui opprime…

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