Chose promise, chose due ! Dans ma précédente chronique j’avais exposé les neufs propositions que j’exposerai au nom de Sauvons l’art ! en janvier prochain au Sénat, mais j’étais passé rapidement sur la proposition n°4, qui est pourtant une des plus importantes, en promettant de revenir dessus par la suite.
Cette quatrième proposition est rédigée comme suit :
« Interdire la subvention d’oeuvres de nature à troubler l’ordre public, à porter atteinte à la dignité humaine ou aux convictions religieuses.
Dans son article premier, la Constitution de 1958 dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » qui « respecte toutes les croyances. »
Il ressort de ce texte que l’argent de l’État français, collecté par le biais des impôts, ne peut en aucun cas être utilisé pour des oeuvres d’art qui manquent de respect aux convictions de tout ou partie des contribuables (l’insulte se distinguant très facilement de la simple contestation, parfaitement légitime).
Cette restriction écarte toute idée de censure, puisque de tels spectacles restent possibles, à condition d’être financés par des fonds privés.
Devant une telle évidence, cette solution est celle adoptée entre autres aux États-Unis. »
Que n’avons-nous pas affirmé là !? De nombreuses plumes, de tous horizons, se sont chargées de me rappeler à l’ordre, hurlant à la censure.
On m’a également fait un mauvais procès en quelques lieux, signalant qu’une telle mesure est inapplicable, puisqu’il faudrait encore déterminer ce qu’est un spectacle « de nature à troubler l’ordre public, à porter atteinte à la dignité humaine ou aux convictions religieuses » et, pire encore, désigner ceux qui auraient le pouvoir de décider une telle chose.
La première chose que je dois donc faire avant toute explication, une chose fondamentale, est de demander à mes détracteurs de bien vouloir prendre une longue respiration, d’écouter la musique Chi Mai d’Ennio Morricone confortablement installés dans leur meilleur fauteuil, si possible les yeux plantés dans un aquarium garni des plus beaux poissons tropicaux avec, c’est indispensable, un bon cognac agrémenté d’un bon Churchill (Wide de préférence) au bec. Profitez de la sérénité incomparable qui vous gagne alors, tutoyez les anges, et redescendez lire mon article avec vos nouveaux yeux baignés de lumière.
Acceptez alors de prendre en considération ce que je vais vous dire maintenant.
A ceux qui me disent que nous encourageons la censure, je répondrai ceci : tout le monde veut une censure. Arrêtez donc de faire vos vierges effarouchées ! Certains la veulent pour Charlie Hebdo, d’autres pour l’apologie de la pédophilie, d’autres pour le révisionnisme, d’autres encore pour les méchants écrivains d’extrême-droite… Bref, nous avons tous un tabou ultime que nous n’accepterions pas de voir éborgné, et ces grands intellos et journaleux qui viennent pleurnicher sur les plateaux de télévision feraient bien de s’en rappeler.
La question n’est donc pas la censure, mais quelle censure ?
Ce qui amène inévitablement à considérer la notion de « liberté d’expression. » Celle-ci est naturellement la liberté de s’exprimer (merci Lapalisse – De rien mon petit !). Mais il est des tas de circonstances dans lesquelles la liberté d’expression est bornée, sans forcément que cela soit conscient. Si j’insulte mon voisin, tout le monde sera d’accord pour dire que c’est une mauvaise chose, ce qui revient à dire que je ne peux pas exprimer tout ce que je veux et, donc, que ma liberté d’expression est limitée.
Quand ces délicieux individus que d’aucuns nomment « racailles » insultent une jeune fille qui refuse de leur accorder sa main l’espace d’une nuit enchantée dans un hôtel de rêve, tout le monde est d’accord pour dire qu’ils auraient dû se taire, et pas seulement parce qu’ils ont, ces abrutis, significativement réduit leurs chances de passer pour des princes charmants !
Si la morale commune réprouve les comportements insultants, quitte à limiter la liberté d’expression, c’est parce que le respect est le fondement des civilisations, rien que ça !
Si nous ne nous respectons pas les uns les autres, nous n’avons absolument aucune chance de construire ces liens d’amitié qui fondent les sociétés (j’ai piqué ça chez mon pote Aristote, qui se trompe rarement).
Qu’il me soit permis d’évoquer ici un exemple personnel. Quand j’étais encore plus petit, et que je faisais mes études de droit, je peuplais mes nuits de débats philosophiques et théologiques avec des amis musulmans, étudiants en médecine qui venaient faire leur spécialisation en France. Nous ne nous faisions aucun cadeau. En tant que catholique pratiquant, je leur démontrais combien je pensais que l’islam était une religion fausse, et ils avaient la sincérité de me renvoyer l’ascenseur avec force démonstration. Pour autant, jamais aucun de nous ne s’est permis d’insulter l’autre. C’eût été bas, vil, et trahir nos idéaux. Je crois même pouvoir affirmer que ni eux ni moi n’avions ce genre d’arrière-pensée. Malgré nos divergences profondes, ce respect fait que l’un d’eux est revenu récemment d’Arabie Saoudite pour me présenter sa femme et ses enfants. Amitié, j’écris ton nom…
Cette expérience m’a montré combien la liberté d’expression (garante de l’amitié) était indépendante de la liberté d’insulter (anti-amitié), et j’ai toujours gardé cette approche des choses, tant pour les choses qui me concernent (les œuvres d’ « art » qui ont fait tant de bruit en salissant le Christ) que pour celles qui concernent les autres (ces caricatures outrageantes de Charlie Hebdo portant sur Mohammed). On peut se livrer un combat sans merci, mais en se respectant toujours. C’est un fait. Et celui qui nie cela est le véritable adversaire aujourd’hui, car il désagrège le tissu social, tantôt déguisé en victime, tantôt érigé en héros.
Voilà qui paraît clair pour le principe, mais insuffisant pour son application, car ce dont je parle se passait dans un cadre privée. Si l’insulte est toujours moralement condamnable, ne serait-il pas excessif de la sanctionner juridiquement alors qu’il s’agit d’échanges dans un cadre privé ?
Je le concède. Mais dire cela ne règle pas la question de l’outrage public. J’aurais aimé approfondir cette question avec vous, mais les contingences éditoriales m’imposent la concision.
Laissons donc de côté le débat sur l’outrage public, et considérons qu’il y a au moins deux considérations possibles pour ce type d’insulte. Soit on considère que la dimension publique de l’insulte mérite qu’il y a ait une sanction juridique (c’est la position de la loi sur la liberté de la presse de 1881, et de notre code pénal actuel), soit on ne va pas aussi loin et on dénie au moins à l’État d’encourager l’insulte publique. Cette dernière exigence, très très loin de toute idée de censure totalitaire, fait l’objet de cette fameuse proposition n°4.
Ainsi donc, la clé du débat est la distinction entre « liberté d’expression » et « liberté d’insulte, » posée par la stricte nécessité d’une amitié qui fonde les sociétés.
Liberté d’expression : bieeeeeeen !
Liberté d’insulter : pas bieeeeeeen !
Censure ? Hors sujet…
Dernière chose à noter : cette question ne se pose comme par hasard que dans l’anart. Dans l’art esthétique, la beauté est le contraire de l’insulte. Je dis ça, je ne dis rien, je suis payé pareil !..
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