Grain de sel : Coup de torchon à la Tate Britain

Chaque mois, Défi culturel reproduit un article de l'historienne de l'art Christine Sourgins, auteur de l'ouvrage de référence Les Mirages de l'art contemporain. Vous pouvez retrouver son excellent blog à cette adresse.

D’après le Sunday Times du 15 janvier 2012, trois experts des Maîtres historiques, dont un de renommée internationale, viennent de claquer la porte de la Tate Britain qui regroupe les collections d'art britannique, de la Renaissance à aujourd’hui. Le musée étant
dirigé par Penelope Curtis dont les vues « modernistes » sont connues, désormais tous les postes importants sont occupés par les tenants de l’art très contemporain à l’assaut du patrimoine.

Un éminent universitaire, qui a demandé l’anonymat, ( c’est dire si la liberté démocratique règne dès qu’il s’agit d’AC !) constate que désormais le patrimoine historique est considéré comme mineur : « La Tate manque à son obligation statutaire de gardien de la meilleure collection historique de l&
rsquo;art britannique au monde. On ne peut plus enseigner l’art britannique à partir de ce qu’il y a sur les cimaises.» conclut-il. Car une partie  des collections est désormais reléguée aux réserves, à part les Turner. (Turner est intouchable, car produit d’appel de l’industrie touristique). A la place des chefs-d’oeuvre de Stubbs, de Hogarth ou autres, on trouve l’œuvre de Cerith Wyn Evans, soit un candélabre à la flamme vacillante, accompagné d’une bande-son qui répète en boucle « Ouais » ; le tout occupe une salle entière. Voilà comment désormais la Tate
Britain éclaire le monde de la culture.

Un étudiant en histoire de l’Université d’ York a fait les calculs suivant : sur les 42 Reynold anciennement exposés, il n’en reste que 4 ; 3 Hogarth sur 20 ; 5 Gainsborough sur 39… Autrefois 20 salles étaient occupées par les collections historiques, aujourd’hui il n’en reste… que 2. La Tate reconnaît elle-même que  l’espace est occupé par les modernes à 63% et par les historiques (de 1600 à 1900) pour 37%, Turner mis à part. Il ne s’agit pas de la énième
querelle des anciens et des modernes mais du remplacement de la culture par une forme de divertissement lié à de douteuses spéculations intellectuelles et financières. Il est loin le temps où Pasolini pouvait dire : « La culture c’est ce qui lutte contre le divertissement ».

Le musée britannique prétexte d’importants travaux  de rénovation qui seront achevés en 2013, et qui permettraient alors une exposition « plus représentative » des oeuvres. Il faudra juger sur pièce, car  une stratégie de l&
rsquo;AC étant le provisoire qui dure (ou réitère, comme à Versailles). D’ailleurs la Tate Britain a commencé sa dérive en organisant annuellement, depuis 1984, le prix Turner. En 2001, Martin Creed en fut le gagnant avec «  The Lights Going On and Off » , une ampoule qui s’allume et s’éteint…. Autant dire que le Prix Turner a plus de chances d’être gagné par un interrupteur que par un peintre, (fut-il Turner lui-même !). Certains en conclurent que la Tate avait disjoncté, mais au fond, être un interrupteur de culture, n’est-ce pas la fonction de cet art trop
contemporain ?

 

Christine Sourgins
(Merci à M. Favre-Félix pour l’article et à Nancy pour la traduction)

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