De la cité papale à la cité des Doges

Qu’on se le dise, l’Église est toujours « dans le coup » ! Le Saint-Siège aura, en effet, son pavillon à la prochaine Biennale d’Art de Venise a annoncé le Cardinal Gianfranco Ravasi, Président du Conseil Pontifical pour la Culture. À partir du 1er juin et jusqu’au 24 novembre 2013, le Saint-Siège exposera sur 500 m², à l’Arsenal de Venise, un ensemble d’œuvres pour un coût prévisionnel total «bas» de 750 000 euros, totalement couvert par des sponsors, dont la banque Intesa San Paolo et le groupe gazier italien Eni. Il s’agit ici de la concrétisation de quatre années de travail menées par le Cardinal Ravasi et Antonio Paolucci, Directeur des Musées du Vatican.

L’Église, ancrée dans notre siècle, sait s’intéresser aux évolutions de son temps et ce, notamment, en observant l’art dit « contemporain » qui prend une ampleur considérable et donne le ton dans le marché de l’art actuel. C’est pour cela qu’elle fait appel, depuis quelques années déjà, à des artistes contemporains afin d’unir son patrimoine historique avec des œuvres toutes récentes. Cette union passe par des liens développés entre le Saint-Siège et des artistes contemporains. Et de nombreuses initiatives ont déjà eu lieu depuis quelques années, engagées par le cardinal Ravasi qui a souligné la volonté de l’Église de créer un véritable dialogue entre la foi et l’art dit « contemporain. » Ainsi, Benoît XVI avait rencontré le monde de l’art « contemporain » en novembre 2009 au Vatican, à l’instar de Paul VI auparavant. L’événement, avec une participation de 500 musiciens, architectes, sculpteurs, écrivains et réalisateurs, avait pour but de refermer « la césure qui s’est ouverte entre l’art contemporain et l’Église », expliquait à l’époque Mgr Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture : « L’art contemporain a son propre langage, sa propre grammaire, qui se distinguent totalement de ceux de l’art classique et un dialogue avec l’Église est selon moi nécessaire ».

Cette nouvelle initiative chez la Sérénissime a donc pour but de retisser le lien entre l’art et la foi, lien rompu à bien des égards. Cela, avec l’idée plus large de réfléchir sur le lien entre l’art et le message religieux dans une dimension transversale, visant aussi bien les croyants que les athées ou les agnostiques. Dans le souci d’entretenir le dialogue entre l’Église et les artistes contemporains, le thème choisi est la Création, tout un symbole pour une première présence dans la cité des Doges. Il s’agit d’une initiative motivée par la présence de cet art nouveau et décomplexé qu’est l’anart, auquel le Vatican souhaite s’associer à cette occasion.

Ainsi, plusieurs artistes de renom ont accepté de relever le défi lancé par le Saint-Siège : trois Italiens composant le Studio Azzurro, le Tchèque Josef Koudelka et l’Américain Lawrence Caroll. Une condition seulement pour ces créateurs : leur travail doit s’inspirer des onze chapitres du récit biblique de la Genèse, un choix volontairement œcuménique. Les œuvres sélectionnées doivent également dialoguer entre elles, pour cela, on y observe trois phases créatrices :
    –  «Création» : qui relate la création du monde et des êtres vivants, a été confiée à un groupe d’artistes italiens, le Studio Azzurro.
    – «Dé-création» : raconte «la destruction éthique et matérielle» par l’homme qui «s’oppose» au projet de Dieu: un thème que l’Église juge très contemporain et pour lequel le célèbre photographe tchèque Josef Koudelka a été choisi.
    – Enfin «Re-création» : est l’œuvre de l’Américain d’origine australienne Lawrence Carroll qui redonne vie à des matières de récupération, pour donner le sens d’un nouveau départ, comme celui d’Abraham raconté dans la Genèse.

Peintures, photos et vidéos : pour sa première participation à la Biennale de Venise, le Saint-Siège a choisi des supports modernes démontrant clairement cette volonté de renouer avec l’anart. « Nous avons essayé de mélanger des langages différents. Une liberté absolue a été laissée aux artistes, qui ont travaillé en totale autonomie », explique Micol Forti, directrice des collections d’art dit « contemporain » des musées du Vatican, au pavillon du Saint-Siège.

L’Église s’est toujours confrontée au fil des siècles aux nouveaux arts émergents en les impliquant dans son besoin d’exprimer la foi par la création artistique. L’anart ne fait pourtant pas l’unanimité et se confronte encore aujourd’hui à de nombreuses critiques auxquelles le Saint-Siège répond en affirmant, par l’intermédiaire de son Président du Conseil Pontifical pour la Culture, qu’il faut « engager les artistes à se réapproprier les grands symboles, les grandes narrations, les grands thèmes, les grandes figures ». Gage que l’idée entretienne la controverse sur l’utilité de l’anart pour l’Église en ce  XXIème siècle.

Ainsi, Claudel voyait dans la Bible un « grand lexique », et Chagall en parlait comme d’un « alphabet teinté d’espérance dans lequel les artistes de tous les siècles ont trempé leurs pinceaux ».  Le Vatican souhaite renouer avec les liens forts qui unissent l’art et la foi, ne pouvant oublier que, des siècles durant, l’art a été au service de l’Église. Si l’idée tend parfois à s’inverser, on peut tout de même souligner cette volonté du Vatican d’opérer un retour sur le devant de la scène artistique en s’impliquant dans l’un des plus grands rendez-vous de l’art au monde. 

Lucie Papin

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