Aude de Kerros invitée à la Biennale de Venise 2017

Une interview de Jean-Claude Santier

Depuis 1893, Venise accueille, tous les deux ans, des délégations de tous les états du monde qui désirent exposer leurs artistes afin de les faire connaître au delà de leurs frontières. La Biennale de Venise ouvre ses jardins et palais cette semaine pour la cinquante septième fois.

– Question de Jean Claude Santier à Aude de Kerros : Vous avez été invitée, le 10 Mai à 18h, jour de l’inauguration de la 57ème Biennale de Venise, par Chiara Donà dalle Rose, à évoquer vos analyses sur l’Art contemporain et son histoire dans son Palais, siège de sa fondation Bias & Wish. Peut-on exprimer publiquement un point de vue, à la fois cultivé et critique, sur l’Art contemporain à la Biennale de Venise ?

– Réponse d’Aude de Kerros : Cela semble étonnant, mais pas tant que cela… la Biennale de Venise n’est pas une place de marché, ce qui est exceptionnel aujourd’hui. Les enjeux sont très différents. Ce sont Etats et Fondations qui présentent les artistes et non pas les marchands. Il n’est pas nécessaire d’être un artiste « bancable » pour y figurer, c’est un autre choix, un autre point de vue sur l’art d’aujourd’hui. C’est tout l’intérêt. On vient à Venise pour prendre la température artistique du monde, pour avoir aussi une perspective historique.

– JC Santier : De quoi allez vous nous parler?

– Aude de Kerros : Je suis invitée à parler de mon livre L’imposture de l’art contemporain – une utopie financière (Editions Eyrolles ) dont les médias ont surtout retenu l’analyse du marché et des mécanismes actuels de la formation de la valeur. Les aspects géopolitiques ont été moins relevés, et c’est cela que j’aimerais mettre en valeur dans cette conférence. Ils sont déterminants. Venise est le bon lieu pour ce décryptage. Il peut donner au promeneur un sens à son parcours d’un pavillon à l’autre. Le monde change très vite en ce moment, de multiples événements sont révélateurs d’une grande métamorphose que j’observe avec attention et qui ne semble pas toujours évaluée et comprise.

– JC Santier : Pourriez vous nous donner quelques pistes ?

– Aude de Kerros : Dans L’Art caché et L’imposture de l’Art contemporain je décris l’évolution, de décennie en décennie, de la pratique de « l’Art contemporain », exact inverse de la pratique de « l’Art ». C’est grâce au hold-up sémantique pratiqué sur le contenu du mot « Art » que l’Amérique a pu organiser la construction artificielle de la valeur de l’art. En maîtrisant les mécanismes de la consécration par le marché, elle a pu aussi détourner l’aura et le pouvoir symbolique de l’Art. Des années 60 à la chute de l’empire soviétique, « l’Art contemporain », d’essence strictement conceptuelle, est avant tout une machine de guerre culturelle ayant pour but de délégitimer l’Europe. Elle y réussit dès les années 70, moment où s’organisent les Foires internationales, où « l’Art contemporain conceptuel » est seul sélectionné, sorti de tout contexte territorial, consacré financièrement selon les critères exclusifs de New York. Il devient au cours des années 80 un produit hautement spéculatif. C’est au cours de ces années qu’a lieu une alliance historique entre les puissances d’argent, les intellectuels et les artistes. Les années 90 ont vu l’effondrement du système soviétique, le premier krach boursier mondial et la fin d’un monde bipolaire, L’Amérique devient hégémonique, « l’Art contemporain » est reprogrammé et devient le support symbolique du multiculturalisme offensif, sous la forme d’un produit financier sécurisé, permettant de créer une plateforme de vie sociale trans frontières.
Les années 2000 verront un marché de « l’Art contemporain » réorganisé. Foires et salles des ventes deviennent les plateformes d’une vie sociale réunissant les très grandes fortunes du monde entier, lieux de rencontres et de sociabilité où s’échangent produits financiers et monétaires en cercle fermé, toutes pratiques adaptées à la globalisation sous hégémonie américaine. Cet « Art contemporain » règnera sans contradicteurs jusqu’au seuil des années dix.

– JC Santier : Qu’en est-il aujourd’hui ?

– Aude de Kerros : A la suite du krach financier de 2008, le climat change : révolutions technologiques, tempêtes financières, religieuses et culturelles, évolution géopolitique vers la pluri-polarité rendent moins assurée la domination d’un demi-siècle de cet art officiel planétaire. C’est la fin d’un unique soft power. Un certain nombre d’Etats ont la volonté d’en avoir un, « non aligné », si l’on peut s’exprimer ainsi. L’on assiste a de multiples initiatives qui nous font quitter les rivages de l’art officiel « total-global », ses répétitions obsessionnelles et demi-séculaires. Cette nouvelle donne mérite examen, chaque jour apporte des éléments nouveaux. La Biennale de Venise est une des scènes où se joue le softpower attaché à l’Art contemporain. On y voit en se promenant les grandes tendances de la géopolitique de l’art… quelques faits, quelques clefs permettent de mieux comprendre.

« Scène Géopolitique de l’Art contemporain » par Aude de Kerros, Palazzio Donà dalle Rose, le 10 Mai, 18h 30, Cannaregio 50-38, Venise

 

Cet article est apparu d’abord sur http://www.sjpp.fr/articles/143

 

 

 

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